CONVERSA COM VISTA PARA…/ Conversation avec vue sur :

ALVARO GARCIA DE ZÚÑIGA


interview de Maria João Seixassorti in magazine Pública du journal Público du 6 janvier 2002


Si dans notre conversation précédente nous avons eu un aperçu du « capitalisme d’aventure » c’est au tour de nous laisser séduire par d’autres aventures, celles du monde des arts, de la création et de la pensée. Une curiosité sans limites anime ce voyageur « intranquile, qui, uruguayen de naissance, est désormais aussi portugais, pour être tombé amoureux d’une lusitaine, de son nom Teresa, avec qui il s’est marié. C’est en octobre de l’an passé qu’il a acquit le statut de double nationalité ayant pu voter pour la première en faveur de Lisbonne, ville où il habite et qu’il aime, peut être pour lui trouver des ressemblances avec Montévideo. Il parle un portugais décousu et chantant, enveloppé de beaucoup de gestes, par crainte que nous ne le comprenions pas. Je lui ai demandé de ne pas perdre sa façon de nous saluer avec un « j’ai de la nostalgie de vous », au lieu des « saudades » portugaises, qu’il ne veut pas fixer, et n’arrive pas à convertir. Très souvent, il semble tourner chaque conversation en dérision, dans une espèce de culte de l’absurde, avec des pirouettes lexicales et de non-sens apparent. Mais si nous le sollicitons à mieux s’expliquer et à nous donner des pistes pour comprendre ses références et associations, nous comprenons tout de suite que tout ce qu’il dit a un fondement et c’est toujours avec douceur, accompagnée d’un sens du « divertissement » fébrile qu’il transmet et partage ce qu’il sait. Il pense à un rythme avec plus de rotations que celles auxquelles nous nous sommes habitués à digérer, et parfois il trébuche sur ses propres mots, ce qui est très amusant mais nous oblige à une attention redoublée, pour ne pas perdre le fil de son raisonnement. Il aime aimer ce qu’il aime et ce qu’il découvre à aimer, et l’exprime physiquement comme les enfants – « J’aime, tu veux essayer ? » Il me manque l’entendre courbé sur son violon, mais ce que j’ai déjà vu de lui, au théâtre et au cinéma, me rend son reflet dans le miroir enveloppé d’un aura de bizarrerie, que seul permet un talent singulier. En voyant l’excellent documentair qu’il vient de réaliser sur la Salle des Batailles du Palais Fronteira, j’ai compris que la consistance de ses savoirs et de sa sensibilité, sans trahir le phrasé ludique qu’il cultive si bien, est un trait dominant de son portrait. Tendre, beau, rare.


MJS – Alvaro, dis-moi qui tu es.


AGZ – Je dois être quelque chose comme une six billionème partie des habitants de cette planète. Grosso modo. En comptant seulement les humains, bien sûr, et en considérant que tous les humains sont humains. Globalement, c’est comme cela que je me sens, un individu dans une mer d’individus.


MJS – être naît dans un pays sud-américain n’est pas un fait déterminant dans ton rapport avec cette mer d’individus ?


AGZ – Sans doute. Une partie de la lecture que nous faisons des choses a sûrement à voir avec nos origines. Au long des années que j’ai déjà vécu en Europe, je me suis rendu compte que beaucoup de choses sont vues par les européens de façon différente de nous. Parce que nous voyons depuis l’autre côté du monde. Il y a un dessin de Joaquim Torres Garcia, un grand peintre uruguayen, qui d’ailleurs a été l’affiche d’une exposition de Beaubourg sur l’Amérique du Sud, qui peint le pôle sud vers le haut, dans une vision inversée de l’atlas. Nous venons d’en bas. Cela change beaucoup de choses.


MJS – Jusqu’à quand as-tu vécu à Montevidéo?


AGZ – On entre tout de suite dans la partie compliquée? Bon… J’ai eu une enfance pas exactement chaotique, mais un tout petit peu mouvementée. Quand mes parents se sont divorcé, ma mère est allée vivre en Argentine et je suis allé avec elle. Avec mon père, quand j’avais huit ans, j’ai fait « le » grand voyage en Europe. C’étaient des voyages qui se faisaient une fois dans la vie et qui duraient des mois. Ils faisaient partie de la formation d’une personne. Ensuite, j’ai vécu presque un an au Brésil. J’ai l’impression que jusqu’en 1972, année que j’ai passé toute entière en Uruguay, je n’était jamais resté une année entière dans un seul pays. Ce fut une enfance trépidante !


MJS – Quelle était la place de l’école?


AGZ – L’école? Catastrophique et, là oui, chaotique. Il y avait le problème de la non-existence des équivalences. La discipline Histoire, en particulier, c’était un drame, parce que l’histoire des deux pays n’était pas la même, et cela, entre autres choses, m’a obligé à refaire des années. Terrible.


MJS – Quand as-tu commencé à sentir en toi le désir d’étudier sérieusement la musique ?


AGZ – le goût de la musique s’est installé peu à peu. J’ai toujours eu des curiosités diverses et la musique a progressivement gagné sa place. Ma mère jouait du piano et j’ai appris à lire et le solfège avec elle. Ce qui a aidé- J’étais et je suis, fondamentalement, très curieux. La lecture par exemple, quand j’ai commencé à aimer lire, seulement vers mes douze, treize ans, c’est devenu compulsif. Je lisais tout ce qui me tombait dans la main, même ce qui était écrit dans les billets de metro. Un poète argentin, je ne me souviens pas si c’était Oliverio Girondo ou Nicolás Olivari, a raconté que son obsession pour la lecture était telle qu’il en arrivait à lire les tickets des tramways. J’ai été « capturé » par la lecture par un livre de guerre, qui devait être très mauvais, j’en ai oublié le titre, l’auteur, tout. Mais je sais que c’est le premier livre qui m’a eu. Ensuite je n’ai plus jamais arrêté. Du Quijote de Cervantes aux pièces de théâtre et autres œuvres, sans rapport apparent entre elles. Tout m’intéressait.


MJS – Et le violon?


AGZ – Mon “cas” avec le violon a commencé plus tard. J’ai commencé par apprendre la guitare et, ensuite je me suis intéressé à la composition. Ce n’est qu’après avoir commencé a étudier la composition sérieusement que j’ai commencé a apprendre le violon. C’est à Buenos Aires, avec Roque de Pedro, un grand compositeur argentin. C’est lui qui m’a fait connaître le théâtre musical. C’est quelqu'un qui en savait énormément sur les instruments et leurs registres. J’ai appris avec lui instrumentalogie, les difficultés de l’orchestration, l’importance de l’harmonie et du contrepoint.

MJS – C’est Roque de Pedro qui t’as dirigé vers le violon ?


AGZ – Tout est lié et les choses sont arrivées simultanément. D’une certaine façon le choix du violon était opportuniste. Cela a peut-être avoir avec l’Amérique du Sud. Je savais qu’on ne pouvait pas vivre de la composition, qui était ce qui m’intéressait et c’était ce à quoi je voulais me dédier. Il fallait que je trouve une solution rémunérée et le violon était ce qu’il y avait de plus dans un orchestre. C’est par là que le violon a commencé, ensuite c’est devenu autre chose. Le violon m’a conquit, peu à peu j’ai abandonné l’écriture musicale et, quand j’ai découvert le théâtre musical, j’ai commencé à m’intéresser beaucoup plus par la voie du geste musical que par la musique proprement dite. C’est l’époque de la découverte de Kagel et d’autres. C’est aussi à ce moment que je me suis approché du théâtre, de l’écriture pour le théâtre.


MJS – Parles-moi de la spécificité du théâtre musical.


AGZ – Le théâtre musical est une variante qui naît du geste musical. Du geste qui produit le son. Disons que, à partir de là, toute la tension qui peut se générer, avec ou sans son, mais qui vient du geste musical, est ce qui se considère plus ou moins du théâtre musical. La pièce célèbre de John Cage « 4’33’’ », qui dure 4 minutes et 33 secondes (de silence), est, pour moi, du théâtre musical, tout comme l’ensemble des pièces de Kagel et plusieurs de Roque de Pedro.


MJS – As-tu participé dans des concerts/spectacles de théâtre musical pendant cette période en Argentine ?


AGZ – Bien sûr, dans plusieurs. Avec Roque de Pedro, j’ai participé à une expérience très belle, une pièce chorale écrite pour des professeurs de l’école primaire. Elle a été écrite pour des personnes qui ne savaient pas chanter, qui n’avaient même pas une quelconque notion de solfège. La partition contenait deux ou trois indications au préalable et le reste chacun devait l’interpréter à sa façon. Le résultat a été fantastique.


à suivre...



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