Se réunir autour d’un plat est un acte universel. Mais universel-universel, de tous, pas comme les « valeurs universelles » que nous autre, occidentaux, aimons croire partagées par les autres cultures au point où nous sommes très surpris de constater que finalement elles ne le sont pas, mais quand au départ il le semble.
Avec un degré plus ou moins élevé de sophistication – selon on considère ceci ou cela sophistiqué, puisqu’il s’agit de quelque chose du domaine du goût – chaque culture transforme l’acte de manger en une espèce de rituel, lequel – quand on a atteint un niveau de prospérité qui le permet – devient plus important de par sa forme que de par sa fonction : se nourrir.
Notre « Histoire Universelle du Sushi » cherchera à illustrer ces aspects et à devenir un support qui amène le spectateur à réfléchir sur ce qu’il y a derrière le simple fait de manger.
Choisir, pour raconter cette histoire universelle (universelle ?) le "Sushi", est une question de goût, évidemment, mais pas seulement. A travers ce choix nous allons réfléchir sur la sobre sophistication orientale (et tester l’hypothèse que cette sophistication puisse n’être qu’un préjugé), sa simplicité (ou la complexité de cette simplicité, devrions-nous dire pour être plus clair) et de la confrontation entre deux notions d’universel – l’occidentale des « valeurs universelles » et l’autre, qui nous touche peut-être à tous mais sans la prétention d’être… universelle.
Pour nous autres occidentaux, le Sushi est passé de vulgaire « poisson cru » – dit avec une moue de dégoût habituelle dans les années cinquante (et bien plus tard) – à la catégorie de délicatesse de culte dans les années quatre-vingt.
En d’autres mots, le « local » et devenu « universel », pour nous et vu par nos propres yeux, puisque pour les Inuits et pour beaucoup d’autres peuples, ces questions « universelles » ne font aucun sens.
Le Portugal
Pour les Portugais le Japon et sa culture ont un attrait très spécial. Le Portugal a été le premier pays occidental à avoir des contacts avec le Japon, il y a plus de 450 ans, et autant les uns que les autres ont gardé dans leurs propres langues de nombreux témoignages de cette rencontre. Bien que la présence portugaise y soit aujourd’hui marginale, il existe au Japon plusieurs journaux de langue portugaise et même une chaîne de télévision dans la langue de Camões.
Le Brésil
Mais tout ceci se doit au Brésil. Ce sont les Brésiliens qui ont maintenu des liens forts avec le Japon. Ce qui est logique si on pense que S.Paulo est la ville avec le plus grand nombre d’habitants japonais, hors le Japon, fruit d’un émigration qui a commencé il y a presque cent ans, au début du XXème siècle (1908). Quelques-uns des descendants de ces Japonais sont venu chercher du travail dans la terre de leurs ancêtres, formant une colonie qui atteint actuellement plus de 250.000 personnes et ne se limite plus aux nipo-descendant. Les Japonais qui habitent au Brésil, de leur côté, dépassent le million.
Ces échanges ont déjà donné plusieurs fruits gastronomiques, au Brésil (spécialement à S.Paulo), sushi et sashimi font partie du quotidien depuis longtemps et, à bien y penser, il serait possible d’imaginer Chico Burque parler du « sushi tropical »… cependant la vision du monde d’un itamae japonais ou de son confrère brésilien peuvent être bien différentes.
Le Japon
Le côté rituel de la gastronomie Japonaise s’étend au-delà de ce à quoi nous sommes habitués. Depuis les banquets de mariage en passant par le jour des enfants e par beaucoup d’autres célébrations, comme celle, surprenante, du temple Sojiji, près de Tokyo, où chaque année on chante et on prie pour les millions de poissons qui ont nourrit la Nation (et le jour suivant on va en bateau jusqu’au milieu de la baie de Tokyo pour rendre hommage aussi aux poissons morts de causes naturelles)… Le rituel gastronomique Japonais, comme aucun autre, invite à la réflexion.
Triangle et Dualité
Les rapports du triangle Portugal-Japon-Brésil sont un des thèmes centraux de ce documentaire qui, toujours autour du sushi, portera une réflexion sur le fait que dans ce rapport tri-latéral le Portugal est resté le tiers exclus.
En 1585, le jésuíte Luís de Fróis (1532 - 1597) a écrit un texte singulier : “Traité sur les contradictions & différences de coutumes entre les Européens & les Japonais”, dans lequel sont traitées comme égales, bien que symétriquement opposées, les deux cultures. Comme s’il s’agissait d’une image réfléchie dans un miroir, les rendant semblables et distinctes en même temps.
Junichirô Tanizaki, dans son célèbre essai “Éloge de l’Ombre” (1933), part de l’universalité du blanc pour réfléchir jusqu’à quel point certains principes que nous considérons évidents et supposons naturels sont, en fait, culturels. La question pour Tanizaki c’est, à travers le jeu entre la lumière et l’ombre, comprendre les deux civilisations : l’occidentale et la japonaise.
La lumière occidentale est une force qui écrase et soumet, qui égalise.
De là que la lumière soit entendue comme l’équivalent de la vérité, une vérité qui se croit à elle-même ontologiquement démocratique.
L’opposition ombre-lumière apparaît comme l’opposition méditation-réflexion.
En guise de conclusion
"Histoire Universelle du Sushi" sera un documentaire et non un reportage ; l’aspect esthétique sera donc particulièrement privilégié. Le traitement de l’image et du son sera aussi simple et dépuré qu’un sushi.
La musique traditionnelle et populaire japonaise (Noh, sarugaku, dengaku - littéralement « musique des champs de ris ») donnera le ton, mais à celle-ci viendront s’ajouter d’autres : certaines pièces de John Cage pour végétaux et dérivés comme “Ryoanji” et “Branches”, sans oublier la nouvelle musique populaire brésilienne…
La participation, les réflexions et même les dérives d’intellectuels et d’artistes invités et de maîtres itamaes du Japon, Brésil et Portugal constitueront l’axe qui conduira notre façon particulière que raconter cette histoire.